Tuesday, June 06, 2006

L'assaut du 19, chitirieh

Assis dans un coin humide d'une tranchée évitée par les kapos en tous genres, j'ai fini de lire les papiers. J'en savais trop, mais surtout pas assez. Qu'est-ce que c'était ? Humain ? j'en doute. Ce ramassis de muscles sans cervelle, de tube et de liquide noirâtre ne pouvait pas être humain, même si certains pieds de marmite sont plus humains que certains officiers.

Je me suis dirigé vers les ramasseurs de blessés de mon unité, et ai négocié à un de ces pauvres cons d'aller ramasser les cadavres du No Man's Land à sa place. Tu parles, il était ravi de me céder sa place. Au fur et à mesure des allées sur le front, j'ai ramassé des cadavres de plus en plus loin, les ramenant près d'un entrepôt à l'arrière à l'aide d'un brancard avec une roue, genre brouette. J'essayais de me rapprocher de là où j'avais vu le monstre, là, Kaarel.

Manque de bol, on nous as rappelé. Les cadavres, pendant qu'on travaillait, avait été rentrés dans l'entrepôt. On nous as demandé de poser les notres à l'entrée et de repartir. Mon cul, ouais. Je voulais voir ce qu'ils faisaient dans ce foutu entrepôt. Je suis entré discrètement. Et j'ai vu. Et je ne veux plus voir.

Des tables. Les cadavres amoncelés en une pile dans un coin. Des tubes. Une cuve. Des médecins, bouchers en blouse blanche. Sur une estrade, un espèce de sale petit commissaire gueulant ses ordres, menant ses équipes de médecins de gesticulations énervées. Sur les tables, les médecins en blouse ensanglantée charcutaient les cadavres, les bricolaient et leur injectait un liquide noirâtre. Et au bout d'un moment, ceux-ci se relevaient. Je jure que j'ai pas touché à la vodka foireuse vendue par le caporal Dmitrov.

L'odeur étaient innommable : la puanteur de merde des boyaux ouverts, l'odeur doucereuse de la mort, le métal du sang coagulé, l'odeur gluante du liquide noir. La tête me tournait. J'ai entendu le petit comissar hurler un ordre comme dans un rêve. Je me suis enfui. J'ai réussi à retourner dans ma tranchée sans me faire choper. J'ai vomi dans un coin.

La mère patrie, cette putain égoiste, non contente d'envoyer ses gosses à l'abattoir, recycles les restes et les invendus.

Je veux mourir.