Sunday, February 25, 1990

L'Assaut du 19, dva.

D'abord, j'ai cru que c'était une machine étrange. Au milieu de... De bras. De jambes, de boyaux, de têtes et de torses. De restes de soldats du Neureich.
- Chto eto ?!, hurlais-je, les oreilles assourdies par le feu roulant d'artillerie, qui ébranlait la casemate sans pourtant la rayér de la carte et ma maigre existence avec.
La puanteur des cadavres et l'odeur de merde de leurs boyaux répandus sur le sol était couverte par une senteur de pétrole malsaine, agressive. Qui semblait plus s'infiltrer par les pores de ma peau que par mes narines.
La chose semblait m'avoir entendue. Accroupie, elle se retourna lentement. C'était un homme. Quand? Je ne sais pas. Son regard vitreux se posa sur moi. Sa peau malade luisait dans la pénombre alors que des auréole noirâtres se formaient autour des cables et tuyaux qui s'insinuaient dans ses bras, ses jambes, son corps, comme des couleuvres amoureuses sortant de son dos. Je l'avais vu, son dos. Livide, tâché de noir, avec des plaques métalliques vissées sur sa colonne vertébrale, des fils et des tubes pompant un liquide poisseux, des appareils mécaniques cliquetant et vibrant.
Sa voix semblait venir d'outretombe quand il me répondit. Ses yeux morts s'étaient fixés sur moi, ses dents étaient tâchées du liquide puant. Quand elles étaient présentes.

- Mie ochie stakhanov Kaarel.

Putain, mais c'est quoi, ce monstre? Des types dans son état, j'en ai déblayé plein de nos tranchées. Certains étaient même mes amis. Kaarel, qu'il s'appelle? J'veux bien, mais c'est quoi un Stakhanov? Mes jambes me lâchaient.

Il ne bougeait plus. Immobile comme une statue, il tenait dans ses bras le cadavre d'un officier. Un de ces putain de connard de chieurs de Provodnik. Le gonze s'était fait plomber la cervelle. Le contenu du crâne ouvert se répandait sur les jambes du Stakhanov, qui se leva, lâchant le corps qui s'étala dans un bruit mou. Tiens? L'artillerie s'était arrêtée.

Il était grand, près de deux mètres. Il s'avancait vers moi, je le pointai de mon fusil, qu'il m'arracha des mains, plia et jeta de coté comme un fêtu de bois et d'acier. Les machines de son dos s'étaient un peu emballées pendant l'opération, faisant perler le liquide noirâtre à la surface de sa peau.

C'est alors que je hurlais avant de m'évanouir.

Saturday, February 24, 1990

L'Assaut du 19, rass.

Il faisait nuit. Il faisait froid.
Quelques chefs nous aboyaient des ordres, fiers de vomir leurs galons. La tension montait. J'avais pour projet de crever, de rejoindre mes copains fauchés par les cracheuses. Marre de ce trou à rats où l'on ne peut qu'attendre ça.
Et puis l'ordre a été gueulé. Hurlants, la meute que nous étions se lancait à l'assaut du no man's land. On courait, on tirait au hasard. Certains se sont englués dans le fil barbelé rouillé, pleurant qu'on les libère, la morsure de l'acier s'ajoutant à celle du froid.

Mes larmes de peur gelaient dans mes yeux.

Les tirs de nos fusils éclairaient la nuit comme un stroboscope asthmatique. Révélant mes compagnons comme autant d'ombres blanches sur fond de nuit. Ajoutant parfois une note de couleur gaie, du rouge, dans cet univers de blanc, de noir et de boue. Victimes de balles ... "amies". Putain.

J'ai réussi à arriver dans la tranchée d'en face. Vide. Intégralement déserte, sauf de cadavres, et de mes compagnons. Je gueulais en russe, comme les autres, de peur de me faire abattre. Le flingue à la main, le réflexe est de buter tout ce qui ne lit pas le cyrillique. Au temps pour la discrétion.

Mais qu'est-ce que c'était que ce foutoir, merde! Je rentre dans une casemate, un trou puant arraché à la boue, étayé à l'arrache. De bois pourri, de métal rouillé. Dans un coin, je le vois.

Friday, February 23, 1990

23 Février 1962

Je n'ai pas dormi, cette nuit.
Le blizzard mauvais gelait ceux d'entre nous trop épuisés pour piétiner toute la nuit. J'en ai profité pour arrêter la cigarette. Un tir de sniper a fait sauter le crâne de Dras alors que je lui allumais une papirossa. Je lui ai piqué son paquet. Des hommes des brigades spéciales ont ramassé les cadavres dans la tranchée boueuse. Je ne sais pas ce qu'ils en font, mais des bruits courent.

Y paraît que le front avance. Les gradés s'en réjouissent. Nous on s'en fout, on meurt. Même mon encre commence à geler. Merde! C'est ça qui me permet de tenir. En plus, ça m'apporte des vivres. Des bidasses veulent écrire à leur femme, restée à l'arrière, et depuis longtemps remariées à un de ces richards qui vendent leur place au front. Alors j'écris. Des mots vides de sens: amour, espoir. Toujours croire, espérer. Enfin, je crois que je suis pas mieux qu'eux. La poussée d'adrénaline de l'assaut du 19 peut être? Demain, oui, demain j'écrirai ce qui s'est passé cette nuit là. Pour le sortir de ma tête, hurlant et griffant, et le tuer sur la page, l'écraser sur la feuille. Expliquer à celui qui me lira ce qui me fait hurler dans mes rares moments d'abandon.

Monday, February 19, 1990

19 Février 1962

On a fini de dégager les cadavres. On a découvert que l'un d'entre eux avait mis le feu à l'explosif d'une grenade à main pour faire chauffer sa ration. Visiblement, c'était un bleu qui n'avait pas encore la main.
En tout cas, c'est toujours une mauvaise idée de faire ça dans un dépôt d'obus.
Les gradés ont l'air de s'agiter. Visiblement on va monter à l'assaut sous peu. Ils ont beau faire les malins avec leur nouvel armement moderne, c'est toujours nous qu'on envoie crever dans ces ruines boueuses pour un conflit d'usure inutile. Je n'aurai peut être pas envie de survivre à ce soir.

Sunday, February 18, 1990

18 Février 1962

Kalov est mort. Je l'ai appris il y a quelques minutes: suite à une explosion près d'un dépot de munitions, on nous a envoyés dégager les corps. Avisant une jambe sortant d'un monticule de débris et de boues, j'ai entrepris de dégager le corps de ce qui allait être les restes de mon meilleur ami. Son torse était ouvert et il a fallu extraire quelques mètres de boyau, ainsi que son foie.
Il avait l'air de sourire, ses lèvres arrachées montrant sa machoire toute entière, noire de quelques dents arrachées.
C'était mon meilleur ami, il est mort. Chouette: ça me permettra d'avoir une excuse si un gradé me voit bourré.

Saturday, February 17, 1990

17 Février 1962.

En revenant de permission, je ne peux que constater que plusieurs décennies de guerre stupide n'ont pas embelli ce qui autrefois s'appelait la Pologne. La plupart des voies de communications sont coupées, avec des réparations de fortune lorsqu'elles servent de support logistique à un des camps en présence. Le paysage n'est plus. Dévasté par des années de bombardement stratégique, miné, brûlé, détruit. Les forêts ne sont plus que des rangs de souches calcinées, et il y a longtemps que les barbelés ont remplacé les fougères, les trous d'obus les clairières.
Les villages ne sont que ruines, continuellement reconstruits par ceux qui n'ont pas d'autre choix que de vivre ici, quand ils ont la maigre chance de vivre loin du front.
Le front...
Un terme qui ne désigne plus rien, sauf pour quelques généraux manipulant leurs petits pions sur des cartes d'état major obsolètes. Ici, dans les tranchées, tout ce que l'on sait c'est que de l'autre coté il y a l'ennemi, et qu'il est déconseillé d'allumer trois clopes avec la même allumette, à moins de vouloir mourir d'un tir de fusil de précision.
Désespérés, certains le veulent. Quand on est dans une tranchée, on ne sait même plus par quel camp elle a été creusée. On s'en fout, de toutes façons. Les quelques restes de matériel et d'uniformes tordus par les bombardements successifs ne permettent plus d'identifier qui étaient les occuppants précédents. Simplement de la viande froide déchiquetée par les shrapnels ou percée par les baïonettes. Qui s'en soucie? Pas le commandement en tout cas.
Ca fait deux ans que je vis comme un rat au fond de ce trou, à manger ce que je trouve ou ce que certains arrivent à faire pousser entre deux caisses d'obus... Des champignons couleur rouille au goût de fer.
On ne sait même pas ce qui se trouve de l'autre coté. On ne les hait pas: le conflit est trop vieux pour ça.
On est simplement de pauvres cons envoyés là pour tuer ceux d'en face, qui ne savent pas plus que nous pourquoi...

Friday, February 16, 1990

16 Février 1962

On a reçu nos affectations ce matin. Retour au front. Warsaw. Fini les gros seins blancs d'Helena, place aux grands tubes bandants des canons de 180, crachant leur sperme de mort et de métal comme Helena et ses copines avalaient celui du régiment.
Je repars demain pour les tranchées. J'ai besoin d'encore un peu de cet alcool de patates pour m'y faire.

Friday, February 09, 1990

9 Février 1962

Les grands pontes bien nourris au chaud dans leurs tentes le plus loin qu'ils peuvent du front ont enfin décidé de nous donner notre permission.
Enfin! A moitié fous à cause du stress, a moitié sourds à cause des bombardements, déjà morts à cause de la guerre, les hommes du régiment fêtent le bon point offert par la hiérarchie. Une semaine d'alcool frelaté et de fesse bon marché, frelatée elle aussi.
Ca me permettra d'arrêter un peu ce journal et d'oublier qu'ici seuls les morts sourient... quand ils n'ont plus de visage.

Thursday, February 08, 1990

8 Février 1962

Jour. Le silence est effroyable. A croire que plus personne n'est là. De temps en temps, une détonation nous rappelle qu'on est en vie, seul bruit déchirant l'absence de son. Sur les barbelés du No Man's Land, quelques restes dansent au gré de la douce brise. Michal en fait partie. Il s'est empêtré hier dedans quand on est monté au front, ça n'a pas pardonné.
Nuit. Les balles traçantes jouent un ballet de mort dans le ciel. Le jour se fait nuit dans un éclatement de métal. A ces moments on revoit les copains qu'on avait perdu de vue, leurs cadavres déterrés par les obus dansant dans la lumière blanche des explosions.

Sunday, February 04, 1990

4 Février 1962

J'écris dans ce journal, c'est donc que je suis encore en vie. Après ce que j'ai vu hier soir, j'en doutais. On est monté à l'assaut. Les balles fusaient. Le temps se ralentissait pour laisser de la place à la faucheuse. Quand on est arrivé dans la tranchée d'en face, on l'a vu. Il était grand, terrible. De ses deux bras mécaniques grêlait la mort, déchiquetant mes compagnons. Ses yeux rouges m'ont vrillé la cervelle! Quand une de ses balles m'a arraché mon casque, j'ai fui comme dans un rêve, entouré de ceux qui étaient encore valides.
Je ne sais pas ce que c'était, mais c'était gros. Et dangereux. Ils ont dû recevoir une nouvelle arme. J'espère que la mère patrie ne nous oubliera pas.

Friday, February 02, 1990

2 Février 1962

Ils ont fusillé Erik. Il s'était tiré une balle dans le bide pour se faire démobiliser. Ca n'a pas plu aux gradés. Il a eu de la chance: Nikolaï avait fait la même chose. Ca s'était infecté, et il est mort de gangrène parce qu'on s'était retrouvés bloqués plusieurs jours sous un feu roulant d'artillerie. Le bruit des obus étouffait ses cris, il est mort en rampant dans un coin de la tranchée.